Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.
165
LE VENTRE DE PARIS.


Elle disait cela, parce qu’elle voyait bien comment tournaient les choses. Et elle parlait avec admiration de monsieur Lebigre, qui se montrait très-galant, en effet, pour la belle Normande ; outre qu’il flairait là une grosse dot, il pensait que la jeune femme serait superbe au comptoir. La vieille ne tarissait pas : au moins celui-là n’était pas efflanqué ; il devait être fort comme un Turc ; elle allait jusqu’à s’enthousiasmer sur ses mollets, qu’il avait très-gros. Mais la Normande haussait les épaules, en répondant aigrement :

— Je m’en moque pas mal, de ses mollets ; je n’ai besoin des mollets de personne… Je fais ce qu’il me plaît.

Et, si la mère voulait continuer et devenait trop nette :

— Eh bien, quoi ! criait la fille, ça ne vous regarde pas… Ce n’est pas vrai, d’ailleurs. Puis, si c’était vrai, je ne vous en demanderais pas la permission, n’est-ce pas ? Fichez-moi la paix.

Elle rentrait dans sa chambre en faisant claquer la porte. Elle avait pris dans la maison un pouvoir dont elle abusait. La vieille, la nuit, quand elle croyait surprendre quelque bruit, se levait, nu-pieds, pour écouter à la porte de sa fille si Florent n’était pas venu la retrouver. Mais celui-ci avait encore chez les Méhudin une ennemie plus rude. Dès qu’il arrivait, Claire se levait sans dire un mot, prenait un bougeoir, rentrait chez elle, de l’autre côté du palier. On l’entendait donner les deux tours à la serrure, avec une rage froide. Un soir que sa sœur invita le professeur à dîner, elle fit sa cuisine sur le carré et mangea dans sa chambre. Souvent, elle s’enfermait si étroitement qu’on ne la voyait pas d’une semaine. Elle restait molle toujours, avec des caprices de fer, des regards de bête méfiante, sous sa toison fauve pâle. La mère Méhudin, qui crut pouvoir se soulager avec elle, la rendit furieuse en lui parlant de Florent. Alors, la vieille, exaspérée, cria partout qu’elle s’en irait, si elle n’avait pas peur de laisser ses deux filles se manger entre elles.