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LE VENTRE DE PARIS.

pentes, les figures géométriques des toitures. Il s’emplissait les yeux de cette immense épure lavée à l’encre de Chine sur un vélin phosphorescent, reprenant son rêve de quelque machine colossale, avec ses roues, ses leviers, ses balanciers, entrevue dans la pourpre sombre du charbon flambant sous la chaudière. À chaque heure, les jeux de lumière changeaient ainsi les profils des Halles, depuis les bleuissements du matin et les ombres noires de midi, jusqu’à l’incendie du soleil couchant, s’éteignant dans la cendre grise du crépuscule. Mais, par les soirées de flamme, quand les puanteurs montaient, traversant d’un frisson les grands rayons jaunes, comme des fumées chaudes, les nausées le secouaient de nouveau, son rêve s’égarait, à s’imaginer des étuves géantes, des cuves infectes d’équarrisseur où fondait la mauvaise graisse d’un peuple.

Il souffrait encore de ce milieu grossier, dont les paroles et les gestes semblaient avoir pris de l’odeur. Il était bon enfant pourtant, ne s’effarouchait guère. Les femmes seules le gênaient. Il ne se sentait à l’aise qu’avec madame François, qu’il avait revue. Elle témoigna une si belle joie de le savoir placé, heureux, tiré de peine, comme elle disait, qu’il en fut tout attendri. Lisa, la Normande, les autres, l’inquiétaient avec leurs rires. À elle, il aurait tout conté. Elle ne riait pas pour se moquer ; elle avait un rire de femme heureuse de la joie d’autrui. Puis, c’était une vaillante ; elle faisait un dur métier, l’hiver, les jours de gelée ; les temps de pluie étaient plus pénibles encore. Florent la vit certains matins, par de terribles averses, par des pluies qui tombaient depuis la veille, lentes et froides. Les roues de la voiture, de Nanterre à Paris, étaient entrées dans la boue jusqu’aux moyeux. Balthazar avait de la crotte jusqu’au ventre. Et elle le plaignait, elle s’apitoyait, en l’essuyant avec de vieux tabliers.

— Ces bêtes, disait-elle, c’est très-douillet ; ça prend des