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LES ROUGON-MACQUART.

Parmi ces femelles lâchées, il avait pourtant une amie. Claire déclarait nettement que le nouvel inspecteur était un brave homme. Quand il passait, dans les gros mots de ses voisines, elle lui souriait. Elle était là, avec des mèches de cheveux blonds dans le cou et sur les tempes, la robe agrafée de travers, nonchalante derrière son banc. Plus souvent, il la voyait debout, les mains au fond de ses viviers, changeant les poissons de bassins, se plaisant à tourner les petits dauphins de cuivre, qui jettent un fil d’eau par la gueule. Ce ruissellement lui donnait une grâce frissonnante de baigneuse, au bord d’une source, les vêtements mal rattachés encore.

Un matin, surtout, elle fut très-aimable. Elle appela l’inspecteur pour lui montrer une grosse anguille qui avait fait l’étonnement du marché, à la criée. Elle ouvrit la grille, qu’elle avait prudemment refermée sur le bassin, au fond duquel l’anguille semblait dormir.

— Attendez, dit-elle, vous allez voir.

Elle entra doucement dans l’eau son bras nu, un bras un peu maigre, dont la peau de soie montrait le bleuissement tendre des veines. Quand l’anguille se sentit touchée, elle se roula sur elle-même, en nœuds rapides, emplissant l’auge étroite de la moire verdâtre de ses anneaux. Et, dès qu’elle se rendormait, Claire s’amusait à l’irriter de nouveau, du bout des ongles.

— Elle est énorme, crut devoir dire Florent. J’en ai rarement vu d’aussi belle.

Alors, elle lui avoua que, dans les commencements, elle avait eu peur des anguilles. Maintenant, elle savait comment il faut serrer la main, pour qu’elles ne puissent pas glisser. Et, à côté, elle en prit une, plus petite. L’anguille, aux deux bouts de son poing fermé, se tordait. Cela la faisait rire. Elle la rejeta, en saisit une autre, fouilla le bassin, remua ce tas de serpents de ses doigts minces.