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LE VENTRE DE PARIS.

C’était trop juste, il se considérait comme le remplaçant intérimaire de monsieur Verlaque ; d’ailleurs, lui, n’avait besoin de rien, puisqu’il couchait et qu’il mangeait chez son frère. Gavard ajouta que, sur les cent cinquante francs mensuels, un abandon de cinquante francs lui paraissait très-joli ; et, en baissant la voix, il fit remarquer que ça ne durerait pas longtemps, car le malheureux était vraiment poitrinaire jusqu’aux os. Il fut convenu que Florent verrait la femme, s’entendrait avec elle, pour ne pas blesser le mari. Cette bonne action le soulageait, il acceptait maintenant l’emploi avec une pensée de dévouement, il restait dans le rôle de toute sa vie. Seulement, il fit jurer au marchand de volailles de ne parler à personne de cet arrangement. Comme celui-ci avait aussi une vague terreur de Lisa, il garda le secret, chose très-méritoire.

Alors, toute la charcuterie fut heureuse. La belle Lisa se montrait très-amicale pour son beau-frère ; elle l’envoyait se coucher de bonne heure, afin qu’il pût se lever matin ; elle lui tenait son déjeuner bien chaud ; elle n’avait plus honte de causer avec lui sur le trottoir, maintenant qu’il portait une casquette galonnée. Quenu, ravi de ces bonnes dispositions, ne s’était jamais si carrément attablé, le soir, entre son frère et sa femme. Le dîner se prolongeait souvent jusqu’à neuf heures, pendant qu’Augustine restait au comptoir. C’était une longue digestion, coupée des histoires de quartier, des jugements positifs portés par la charcutière sur la politique. Florent devait dire comment avait marché la vente de la marée. Il s’abandonnait peu à peu, arrivait à goûter la béatitude de cette vie réglée. La salle à manger jaune clair avait une netteté et une tiédeur bourgeoises qui l’amollissaient dès le seuil. Les bons soins de la belle Lisa mettaient autour de lui un duvet chaud, où tous ses membres enfonçaient. Ce fut une heure d’estime et de bonne entente absolues.