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LE VENTRE DE PARIS.

écrivait, les doigts allongés, en demoiselle qui a reçu de l’instruction.

Mais son attention fut détournée par le glapissement du crieur, qui mettait un magnifique turbot aux enchères.

— Il y a marchand à trente francs !… à trente francs ! à trente francs !

Il répétait ce chiffre sur tous les tons, montant une gamme étrange, pleine de soubresauts. Il était bossu, la face de travers, les cheveux ébouriffés, avec un grand tablier bleu à bavette. Et le bras tendu, violemment, les yeux jetant des flammes :

— Trente-un ! trente-deux ! trente-trois ! trente-trois cinquante !… trente-trois cinquante !…

Il reprit haleine, tournant la manne, l’avançant sur la table de pierre, tandis que des poissonnières se penchaient, touchaient le turbot, légèrement, du bout du doigt. Puis, il repartit, avec une furie nouvelle, jetant un chiffre de la main à chaque enchérisseur, surprenant les moindres signes, les doigts levés, les haussements de sourcils, les avancements de lèvres, les clignements d’yeux ; et cela avec une telle rapidité, un tel bredouillement, que Florent, qui ne pouvait le suivre, resta déconcerté quand le bossu, d’une voix plus chantante, psalmodia d’un ton de chantre qui achève un verset :

— Quarante-deux ! quarante-deux !… à quarante-deux francs le turbot !

C’était la belle Normande qui avait mis la dernière enchère. Florent la reconnut, sur la ligne des poissonnières, rangées contre les tringles de fer qui fermaient l’enceinte de la criée. La matinée était fraîche. Il y avait là une file de palatines, un étalage de grands tabliers blancs, arrondissant des ventres, des gorges, des épaules énormes. Le chignon haut, tout garni de frisons, la chair blanche et délicate, la belle Normande montrait son nœud de dentelle, au milieu des tignasses crêpues,