Page:Emile Zola - Le Ventre de Paris.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
LES ROUGON-MACQUART.

Une barre de soleil, tombant du haut vitrage de la rue couverte, vint allumer ces couleurs précieuses, lavées et attendries par la vague, irisée et fondues dans les tons de chair des coquillages, l’opale des merlans, la nacre des maquereaux, l’or des rougets, la robe lamée des harengs, les grandes pièces d’argenterie des saumons. C’était comme les écrins, vidés à terre, de quelque fille des eaux, des parures inouïes et bizarres, un ruissellement, un entassement de colliers, de bracelets monstrueux, de broches gigantesques, de bijoux barbares, dont l’usage échappait. Sur le dos des raies et des chiens de mer, de grosses pierres sombres, violâtres, verdâtres, s’enchâssaient dans un métal noirci ; et les minces barres des équilles, les queues et les nageoires des éperlans, avaient des délicatesses de bijouterie fine.

Mais ce qui montait à la face de Florent, c’était un souffle frais, un vent de mer qu’il reconnaissait, amer et salé. Il se souvenait des côtes de la Guyane, des beaux temps de la traversée. Il lui semblait qu’une baie était là, quand l’eau se retire et que les algues fument au soleil ; les roches mises à nu s’essuient, le gravier exhale une haleine forte de marée. Autour de lui, le poisson, d’une grande fraîcheur, avait un bon parfum, ce parfum un peu âpre et irritant qui déprave l’appétit.

Monsieur Verlaque toussa. L’humidité le pénétrait, il se serrait plus étroitement dans son cache-nez.

— Maintenant, dit-il, nous allons passer au poisson d’eau douce.

Là, du côté du pavillon aux fruits, et le dernier vers la rue Rambuteau, le banc de la criée est entouré de deux viviers circulaires, séparés en cases distinctes par des grilles de fonte. Des robinets de cuivre, à col de cygne, jettent de minces filets d’eau. Dans chaque case, il y a des grouillements confus d’écrevisses, des nappes mouvantes de dos noirâtres de carpes, des nœuds vagues d’anguilles, sans cesse dénoués