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LE VENTRE DE PARIS.

— Non, non, reprit la charcutière, c’est chose entendue… Voyons, mon cher Florent, vous avez assez souffert. Ça fait frémir, ce que vous racontiez tout à l’heure. Il est temps que vous vous rangiez. Vous appartenez à une famille honorable, vous avez reçu de l’éducation, et c’est peu convenable vraiment, de courir les chemins, en véritable gueux… À votre âge, les enfantillages ne sont plus permis… Vous avez fait des folies, eh bien, on les oubliera, on vous les pardonnera. Vous rentrerez dans votre classe, dans la classe des honnêtes gens, vous vivrez comme tout le monde, enfin.

Florent l’écoutait, étonné, ne trouvant pas une parole. Elle avait raison, sans doute. Elle était si saine, si tranquille, qu’elle ne pouvait vouloir le mal. C’était lui, le maigre, le profil noir et louche, qui devait être mauvais et rêver des choses inavouables. Il ne savait plus pourquoi il avait résisté jusque-là.

Mais elle continua, abondamment, le gourmandant comme un petit garçon qui a fait des fautes et qu’on menace des gendarmes. Elle était très-maternelle, elle trouvait des raisons très-convaincantes. Puis, comme dernier argument :

— Faites-le pour nous, Florent, dit-elle. Nous tenons une certaine position dans le quartier, qui nous force à beaucoup de ménagements… J’ai peur qu’on ne jase, là, entre nous. Cette place arrangera tout, vous serez quelqu’un, même vous nous ferez honneur.

Elle devenait caressante. Une plénitude emplissait Florent ; il était comme pénétré par cette odeur de la cuisine, qui le nourrissait de toute la nourriture dont l’air était chargé ; il glissait à la lâcheté heureuse de cette digestion continue du milieu gras où il vivait depuis quinze jours. C’était, à fleur de peau, mille chatouillements de graisse naissante, un lent envahissement de l’être entier, une douceur molle et boutiquière. À cette heure avancée de la nuit, dans la chaleur de cette pièce, ses âpretés, ses volontés se fondaient en lui ;