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un œil de clarté vive que la paupière recouvre. Elle le suivait, le regardait s’élargir à chaque crépuscule, impatiente de ce flambeau, qui allait enfin éclairer l’invisible. Peu à peu, en effet, le Clos-Marie sortait de l’obscurité, avec les ruines de son vieux moulin, ses bouquets d’arbres, son ruisseau rapide. Et alors, dans la lumière, la création continua. Ce qui venait du rêve finit par prendre l’ombre d’un corps. Car elle n’aperçut d’abord qu’une ombre effacée se mouvant sous la lune. Qu’était-ce donc ? l’ombre d’une branche balancée par le vent ? Parfois, tout s’évanouissait, le champ dormait dans une immobilité de mort, elle croyait à une hallucination de sa vue. Puis, le doute ne fut plus possible, une tache sombre avait franchi un espace éclairé, se glissant d’un saule à un autre. Elle la perdait, la retrouvait, sans jamais arriver à la définir. Un soir, elle crut reconnaître la fuite leste de deux épaules, et ses yeux se portèrent aussitôt sur le vitrail : il était grisâtre, comme vidé, éteint par la lune qui l’éclairait en plein. Dès ce moment, elle remarqua que l’ombre vivante s’allongeait, se rapprochait de sa fenêtre, gagnant toujours, de trous noirs en trous noirs, parmi les herbes, le long de l’église. À mesure qu’elle la devinait plus proche, une émotion grandissante l’envahissait, cette sensation nerveuse qu’on éprouve à être regardé par des yeux de mystère, qu’on ne voit point. Sûrement, un être était là ; sous les feuilles,