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à cette fin d’un beau jour ; ses petits yeux vagues se détournaient du vaste ciel, pendant qu’il ouvrait tout grand son bec rose d’oiseau sans cesse affamé. Et il pleurait si fort, il avait un réveil si goulu, qu’elle se décida à lui redonner le sein. Du reste, c’était son heure, il y avait trois heures qu’il n’avait tété.

Clotilde revint s’asseoir, près de la table. Elle l’avait posé sur ses genoux, où il n’était guère sage, criant plus fort, s’impatientant ; et elle le regardait avec un sourire, tandis qu’elle dégrafait sa robe. La gorge apparut, la gorge menue et ronde, que le lait avait gonflée à peine. Une légère auréole de bistre avait seulement fleuri le bout du sein, dans la blancheur délicate de cette nudité de femme, divinement élancée et jeune. Déjà, l’enfant sentait, se soulevait, tâtonnait des lèvres. Quand elle lui eut posé la bouche, il eut un petit grondement de satisfaction, il se rua tout en elle, avec le bel appétit vorace d’un monsieur qui voulait vivre. Il tétait à pleines gencives, avidement. D’abord, de sa petite main libre, il avait saisi le sein à poignée, comme pour le marquer de sa possession, le défendre et le garder. Puis, dans la joie du ruissellement tiède dont il avait plein la gorge, il s’était mis à lever son petit bras en l’air, tout droit, ainsi qu’un drapeau. Et Clotilde gardait son inconscient sourire, à le voir, si vigoureux, se nourrir d’elle. Les premières semaines, elle avait beaucoup souffert d’une crevasse ; maintenant encore, le sein restait sensible ; mais elle souriait quand même, de cet air paisible des mères, heureuses de donner leur lait, comme elles donneraient leur sang.

Quand elle avait dégrafé son corsage, et que sa gorge, sa nudité de mère s’était montrée, un autre mystère d’elle, un de ses secrets les plus cachés et les plus délicieux, était apparu : le fin collier aux sept perles, les étoiles laiteuses, que le maître avait mises à son cou, un