le faisait grelotter ainsi ? Cela, au loin, lui apparaissait comme une contrée de ténèbres, dans laquelle il sentait déjà toutes ses énergies se dissoudre. Et, alors, le regret de la femme, le regret de l’enfant l’emplissait de révolte, lui tordait le cœur d’une intolérable angoisse.
Ah ! que n’avait-il vécu ! Certaines nuits, il arrivait à maudire la science, qu’il accusait de lui avoir pris le meilleur de sa virilité. Il s’était laissé dévorer par le travail, qui lui avait mangé le cerveau, mangé le cœur, mangé les muscles. De toute cette passion solitaire, il n’était né que des livres, du papier noirci que le vent emporterait sans doute, dont les feuilles froides lui glaçaient les mains, lorsqu’il les ouvrait. Et pas de vivante poitrine de femme à serrer contre la sienne, pas de tièdes cheveux d’enfant à baiser ! Il avait vécu seul dans sa couche glacée de savant égoïste, il y mourrait seul. Vraiment, allait-il donc mourir ainsi ? ne goûterait-il pas au bonheur des simples portefaix, des charretiers dont les fouets claquaient sous ses fenêtres ? Il s’enfiévrait à l’idée qu’il devait se hâter, car bientôt il ne serait plus temps. Toute sa jeunesse inemployée, tous ses désirs refoulés et amassés lui remontaient alors dans les veines, en un flot tumultueux. C’étaient des serments d’aimer encore, de revivre pour épuiser les passions qu’il n’avait point bues, de goûter à toutes, avant d’être un vieillard. Il frapperait aux portes, il arrêterait les passants, il battrait les champs et la ville. Puis, le lendemain, quand il s’était lavé à grande eau et qu’il quittait sa chambre, toute cette fièvre se calmait, les tableaux brûlants s’effaçaient, il retombait à sa timidité naturelle. Puis, la nuit suivante, la peur de la solitude le rejetait à la même insomnie, son sang se rallumait, et c’étaient les mêmes désespoirs, les mêmes rébellions, les mêmes besoins de ne pas mourir sans avoir connu la femme.