le remettre là-haut, sur la planche… Je ne suivrai pas l’ordre alphabétique, mais l’ordre même des faits. Il y a longtemps que je veux établir ce classement… Allons, cherche les noms sur les chemises. Tante Dide, d’abord.
À ce moment, un coin de l’orage qui incendiait l’horizon, prit en écharpe la Souleiade, creva sur la maison en une pluie diluvienne. Mais ils ne fermèrent même pas la fenêtre. Ils n’entendaient ni les éclats de la foudre, ni le roulement continu de ce déluge battant la toiture. Elle lui avait passé le dossier qui portait le nom de Tante Dide, en grosses lettres ; et il en tirait des papiers de toutes sortes, d’anciennes notes, prises par lui, qu’il se mit à lire.
— Donne-moi Pierre Rougon… Donne-moi Ursule Macquart… Donne-moi Antoine Macquart…
Muette, elle obéissait toujours, le cœur serré d’une angoisse, à tout ce qu’elle entendait. Et les dossiers défilaient, étalaient leurs documents, retournaient s’empiler dans l’armoire.
C’étaient d’abord les origines, Adélaïde Fouque, la grande fille détraquée, la lésion nerveuse première, donnant naissance à la branche légitime, Pierre Rougon, et aux deux branches bâtardes, Ursule et Antoine Macquart, toute cette tragédie bourgeoise et sanglante, dans le cadre du coup d’État de décembre 1851, les Rougon, Pierre et Félicité, sauvant l’ordre à Plassans, éclaboussant du sang de Silvère leur fortune commençante, tandis qu’Adélaïde vieillie, la misérable Tante Dide, était enfermée aux Tulettes, comme une figure spectrale de l’expiation et de l’attente. Ensuite, la meute des appétits se trouvait lâchée, l’appétit souverain du pouvoir chez Eugène Rougon, le grand homme, l’aigle de la famille, dédaigneux, dégagé des vulgaires intérêts, aimant la force pour la force, conquérant Paris en vieilles bottes, avec les