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LES ROUGON-MACQUART.

— Quoi donc, Jean, on ne mange pas, ce matin ?

— J’y vais, madame Jacqueline.

Depuis que la fille à Cognet, le cantonnier de Rognes, la Cognette comme on la nommait, quand elle lavait la vaisselle de la ferme à douze ans, était montée aux honneurs de servante-maîtresse, elle se faisait traiter en dame, despotiquement.

— Ah ! c’est toi, Françoise, reprit-elle. Tu viens pour le taureau… Eh bien ! tu attendras. Le vacher est à Cloyes, avec monsieur Hourdequin. Mais il va revenir, il devrait être ici.

Et, comme Jean se décidait à entrer dans la cuisine, elle le prit par la taille, se frottant à lui d’un air de rire, sans s’inquiéter d’être vue, en amoureuse gourmande qui ne se contentait pas du maître.

Françoise, restée seule, attendit patiemment, assise sur un banc de pierre, devant la fosse à fumier, qui tenait un tiers de la cour. Elle regardait sans pensée une bande de poules, piquant du bec et se chauffant les pattes sur cette large couche basse, que le refroidissement de l’air faisait fumer, d’une petite vapeur bleue. Au bout d’une demi-heure, lorsque Jean reparut, achevant une tartine de beurre, elle n’avait pas bougé. Il s’assit près d’elle, et comme la vache s’agitait, se battait de sa queue en meuglant, il finit par dire :

— C’est ennuyeux que le vacher ne rentre pas.

La jeune fille haussa les épaules. Rien ne la pressait. Puis, après un nouveau silence :

— Alors, Caporal, c’est Jean tout court qu’on vous nomme ?

— Mais non, Jean Macquart.

— Et vous n’êtes pas de nos pays ?

— Non, je suis Provençal, de Plassans, une ville, là-bas.

Elle avait levé les yeux pour l’examiner, surprise qu’on pût être de si loin.

— Après Solférino, continua-t-il, il y a dix-huit mois, je suis revenu d’Italie avec mon congé, et c’est un cama-