Page:Emile Zola - La Terre.djvu/507

Cette page a été validée par deux contributeurs.
507
LA TERRE.

grave. L’abbé Madeline était parti l’avant-veille, et Rognes, de nouveau, se trouvait sans prêtre. L’essai d’en nourrir un à demeure, ce luxe coûteux d’une paroisse, avait en somme si mal réussi, que le conseil municipal s’était prononcé pour la suppression du crédit et le retour à l’ancien état, l’église simplement desservie par le curé de Bazoches-le-Doyen. Mais l’abbé Godard, bien que monseigneur l’eût raisonné, jurait de ne jamais y rapporter le bon Dieu, exaspéré du départ de son collègue, accusant les habitants de l’avoir à moitié assassiné, ce pauvre homme, dans le but unique de le forcer, lui, à revenir. Déjà, il criait partout que Bécu pourrait sonner la messe jusqu’aux vêpres, le dimanche suivant, lorsque la mort brusque de Fouan avait compliqué la situation, passée du coup à l’état aigu. Un enterrement, ce n’est point comme une messe, ça ne se garde pas pour plus tard. Heureux au fond de la circonstance, malicieux dans son bon sens, Delhomme prit le parti de se rendre en personne à Bazoches, près du curé. Dès que ce dernier l’aperçut, ses tempes se gonflèrent, son visage noircit, il le repoussa du geste, sans lui laisser ouvrir la bouche. Non ! non ! non ! Plutôt y perdre sa cure ! Et, quand il apprit que c’était pour un convoi, il en bégaya de fureur. Ah ! ces païens faisaient exprès de mourir, ah ! ils croyaient de la sorte l’obliger à céder : eh bien ! ils s’enfouiraient tout seuls, ce ne serait fichtre pas lui qui les aiderait à monter au ciel ! Paisiblement, Delhomme attendait que ce premier flot fût passé ; puis, il exprima des idées, on ne refusait l’eau bénite qu’aux chiens, un mort ne pouvait rester sur les bras de sa famille ; enfin, il fit valoir des raisons personnelles, le mort était son beau-père, le beau-père du maire de Rognes. Voyons, ce serait pour le lendemain dix heures. Non ! non ! non ! L’abbé Godard se débattait, s’étranglait, et le paysan, tout en espérant que la nuit lui porterait conseil, dut le quitter sans l’avoir fléchi.

— Je vous dis que non ! lui jeta une dernière fois le prêtre, de sa porte. Ne faites pas sonner… Non ! mille fois non !