Page:Emile Zola - La Terre.djvu/491

Cette page a été validée par deux contributeurs.
491
LA TERRE.

montait une émotion indicible, qui lui partait du cœur et le serrait à la gorge. Il s’était levé, il chancela, s’appuya sur madame Charles, debout elle aussi, suffoquée et tremblante. Tous les deux croyaient à un sacrifice, refusaient d’une voix éperdue.

— Oh ! chérie, oh ! chérie… Non, non, chérie…

Mais les yeux d’Élodie se mouillaient, elle baisa la vieille alliance de sa mère, qu’elle portait au doigt, cette alliance usée là-bas, dans le travail.

— Si, si, laissez-moi suivre mon idée… Je veux être comme maman. Ce qu’elle a fait, je peux le faire. Il n’y a pas de déshonneur, puisque vous l’avez fait vous-mêmes… Ça me plaît beaucoup, je vous assure. Et vous verrez si j’aiderai mon cousin, si nous relèverons promptement la maison, à nous deux ! Il faudra que ça marche, on ne me connaît pas !

Alors, tout fut emporté, les Charles ruisselèrent. L’attendrissement les noyait, ils sanglotaient comme des enfants. Sans doute, ils ne l’avaient pas élevée dans cette idée ; seulement, que faire, quand le sang parle ? Ils reconnaissaient le cri de la vocation. Absolument la même histoire que pour Estelle : elle aussi, ils l’avaient enfermée chez les dames de la Visitation, ignorante, pénétrée des principes les plus rigides de la morale ; et elle n’en était pas moins devenue une maîtresse de maison hors ligne. L’éducation ne signifiait rien, c’était l’intelligence qui décidait de tout. Mais la grosse émotion des Charles, les larmes dont ils débordaient sans pouvoir les arrêter, venaient plus encore de cette pensée glorieuse que le 19, leur œuvre, leur chair, allait être sauvé de la ruine. Élodie et Nénesse, avec la belle flamme de la jeunesse, y continueraient leur race. Et ils le voyaient déjà restauré, rentré dans la faveur publique, étincelant, tel enfin qu’il brillait sur Chartres, aux plus beaux jours de leur règne.

Lorsque M. Charles put parler, il attira sa petite-fille dans ses bras.

— Ton père nous a causé bien des soucis, tu nous consoles de tout, mon ange !