Page:Emile Zola - La Terre.djvu/490

Cette page a été validée par deux contributeurs.
490
LES ROUGON-MACQUART.

entendre, craignant d’en trop dire. La petite là-bas, rue aux Juifs ! une demoiselle qui avait reçu tant d’instruction ! une pureté si absolue, élevée dans l’ignorance de tout !

— Ah ! pardon, déclara nettement Nénesse, ça ne fait plus mon affaire… Je me marie pour m’établir, je veux ma cousine et la maison.

— La confiserie ! s’écria madame Charles.

Et, ce mot lancé, la discussion s’en empara, le répéta à dix reprises. La confiserie, allons ! était-ce raisonnable ? Le jeune homme et son père s’entêtaient à l’exiger comme dot, disaient qu’on ne pouvait pas lâcher ça, que c’était la vraie fortune de la future ; et ils prenaient à témoin Jean, qui en convenait d’un hochement du menton. Enfin, ils finirent tous par crier, ils s’oubliaient, précisaient, donnaient des détails crus, lorsqu’un incident inattendu les fit taire.

Lentement, Élodie venait enfin de dégager sa tête, et elle se leva, de son air de grand lis poussé à l’ombre, avec sa pâleur mince de vierge chlorotique, ses yeux vides, ses cheveux incolores. Elle les regarda, elle dit tranquillement :

— Mon cousin a raison, on ne peut pas lâcher ça.

Ahurie, madame Charles bégayait :

— Mais, mon petit lapin, si tu savais…

— Je sais… Il y a beau temps que Victorine m’a tout dit, Victorine, la bonne qu’on a renvoyée, à cause des hommes… Je sais, j’y ai réfléchi, je vous jure qu’on ne peut pas lâcher ça.

Une stupeur avait cloué les Charles. Leurs yeux s’étaient arrondis, ils la contemplaient dans un hébétement profond. Eh quoi ! elle connaissait le 19, ce qu’on y faisait, ce qu’on y gagnait, le métier enfin, et elle en parlait avec cette sérénité ! Ah ! l’innocence, elle touche à tout sans rougir !

— On ne peut pas lâcher ça, répéta-t-elle. C’est trop bon, ça rapporte trop… Et puis, une maison que vous avez faite, où vous avez travaillé si fort, est-ce que ça doit sortir de la famille ?

M. Charles en fut bouleversé. Dans son saisissement,