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LA TERRE.

— Bon ! dit le prêtre. Ça suffit, je compte sur vous, père Fouan.

Mais une volée de cloche lui coupa la parole, et il demanda, effaré :

— C’est le second coup, n’est-ce pas ?

— Non, monsieur le curé, c’est le troisième.

— Ah ! bon sang ! voilà encore cet animal de Bécu qui sonne sans m’attendre !

Il jurait, il monta violemment le sentier. En haut, il faillit avoir une attaque, la gorge grondante comme un soufflet de forge.

La cloche continuait, tandis que les corbeaux qu’elle avait dérangés, volaient en croassant à la pointe du clocher, une flèche du quinzième siècle, qui attestait l’ancienne importance de Rognes. Devant la porte grande ouverte, un groupe de paysans attendaient, parmi lesquels le cabaretier Lengaigne, libre penseur, fumait sa pipe ; et plus loin, contre le mur du cimetière, le maire, le fermier Hourdequin, un bel homme, de traits énergiques, causait avec son adjoint, l’épicier Macqueron. Lorsque le prêtre eut passé, saluant, tous le suivirent, sauf Lengaigne, qui affecta de tourner le dos, en suçant sa pipe.

Dans l’église, à droite du porche, un homme, pendu à une corde, tirait toujours.

— Assez, Bécu ! dit l’abbé Godard, hors de lui. Je vous ai ordonné vingt fois de m’attendre, avant de sonner le troisième.

Le garde champêtre, qui était sonneur, retomba sur les pieds, effaré d’avoir désobéi. C’était un petit homme de cinquante ans, une tête carrée et tannée de vieux militaire, à moustaches et à barbiche grises, le cou raidi, comme étranglé continuellement par des cols trop étroits. Très ivre déjà, il resta au port d’arme, sans se permettre une excuse.

D’ailleurs, le prêtre traversait la nef, en jetant un coup d’œil sur les bancs. Il y avait peu de monde. À gauche, il ne vit encore que Delhomme, venu comme conseiller municipal. À droite, du côté des femmes, elles étaient au