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LA TERRE.

son paquet sur la garce, cause de son malheur : la galopée des mâles, Tron après tant d’autres, et l’histoire de ce dernier, et le rut insolent, impudent, à la connaissance de tous ; si bien que, dans le pays, on disait que le maître devait aimer ça, les restes de valet. Vainement, le fermier, éperdu, tâchait de l’interrompre, car il tenait à son ignorance, il ne voulait plus savoir, dans la terreur d’être forcé de la chasser : le vieux était allé jusqu’au bout, sans omettre une seule des fois qu’il les avait surpris, méthodique, le cœur peu à peu soulagé, vidé de sa longue rancune. Jacqueline ignorait cette délation, Hourdequin s’étant sauvé à travers champs, avec la crainte de l’étrangler, s’il la revoyait ; ensuite, au retour, il avait simplement renvoyé Tron, sous le prétexte qu’il laissait la cour dans un état de saleté épouvantable. Alors, elle avait bien eu un soupçon ; mais elle ne s’était pas risquée à défendre le vacher, obtenant qu’il coucherait encore cette nuit-là, comptant arranger l’affaire le lendemain, pour le garder. Et tout cela, à cette heure, restait trouble, dans le coup du destin qui détruisait ses dix années de laborieux calculs.

Jean était seul avec elle dans la cuisine, lorsque Tron parut. Elle ne l’avait pas revu depuis la veille, les autres domestiques erraient par la ferme, inoccupés, anxieux. Quand elle aperçut le Percheron, cette grande bête à la chair d’enfant, elle eut un cri, rien qu’à la façon oblique dont il entrait.

— C’est toi qui as ouvert la trappe !

Brusquement, elle comprenait tout, et lui était blême, les yeux ronds, les lèvres tremblantes.

— C’est toi qui as ouvert la trappe et qui l’as appelé, pour qu’il fît la culbute !

Saisi de cette scène, Jean s’était reculé. Ni l’un ni l’autre, d’ailleurs, ne semblaient plus le savoir là, dans la violence des passions qui les agitaient. Tron, sourdement, la tête basse, avouait.

— Oui, c’est moi… Il m’avait renvoyé, je ne t’aurais plus vue, ça ne se pouvait pas… Et puis, déjà, j’avais songé que, s’il mourait, nous serions libres d’être ensemble.