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LES ROUGON-MACQUART.

mouiller son tabac, le second ricanait, lui jetait sa démission à la tête ; et tout le monde s’en était mêlé, par plaisir de serrer les poings et de crier fort, si bien qu’un instant on avait pu craindre un massacre général. C’était fini, mais il en restait une colère mal contentée, un besoin de bataille.

D’abord, ça manqua d’éclater entre Victor, le fils de la maison, et les conscrits. Lui, ayant fait son temps, crânait devant ces gamins, braillait plus haut, les poussait à des paris imbéciles, de vider d’en l’air un litre au fond de sa gorge, ou encore de pomper son verre plein avec le nez, sans qu’une goutte passât par la bouche. Tout d’un coup, à propos des Macqueron et du mariage prochain de leur fille Berthe, le petit aux Couillot rigola de N’en-a-pas, fit le farceur en reprenant les vieilles plaisanteries. Voyons, faudrait demander ça au mari, le lendemain : en avait-elle, oui ou non ? On en causait depuis si longtemps, c’était bête à la fin !

Et l’on fut surpris de la brusque colère de Victor, qui, autrefois, était le plus acharné à dire qu’elle n’en avait pas.

— En v’là assez, elle en a !

Une clameur accueillit cette affirmation. Il l’avait donc vue, il avait couché avec ? Mais il s’en défendit formellement. On peut bien voir sans toucher. Il s’était arrangé pour ça, un jour que l’idée d’éclaircir la chose le tourmentait. Comment ? ça ne regardait personne.

— Elle en a, parole d’honneur !

Alors, ce fut terrible, lorsque le petit aux Couillot, très soûl, s’entêta à crier qu’elle n’en avait pas, sans savoir, simplement pour ne pas céder. Victor hurlait que lui aussi avait dit ça, que s’il ne le disait plus, ce n’était point par idée de soutenir les Macqueron, ces sales canailles ! C’était parce que la vérité est la vérité. Et il tomba sur le conscrit, on dut le lui arracher des mains.

— Dis qu’elle en a, nom de Dieu ! ou je te crève !

Bien du monde, d’ailleurs, garda un doute. Personne ne s’expliquait l’exaspération du fils aux Lengaigne, car il