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LES ROUGON-MACQUART.

— Qu’est-ce que tu veux y foutre ? il est pris !

Et, restés en arrière, sur la route déserte, tous deux revinrent péniblement, l’homme se rappelant sa dure vie de soldat, la femme tournant sa colère contre le bon Dieu, qu’elle était allée prier deux fois et qui ne l’avait pas écoutée.

Nénesse, lui, portait à son chapeau un superbe 214, peinturluré de rouge et de bleu. C’était un des plus hauts, et il triomphait de sa chance, brandissant sa canne, menant le chœur sauvage des autres, en battant la mesure. Quand elle vit le numéro, Fanny, au lieu de se réjouir, eut un cri de profond regret : ah ! si l’on avait su, on n’aurait pas versé mille francs à la loterie de M. Baillehache. Mais, tout de même, elle et Delhomme embrassèrent leur fils, comme s’il venait d’échapper à un gros péril.

— Lâchez-moi donc ! cria-t-il, c’est emmerdant !

La bande, dans son élan brutal, continuait sa marche, à travers le village révolutionné. Et les parents ne se risquaient plus, certains d’être envoyés au diable. Tous ces bougres revenaient aussi mal embouchés, et ceux qui partaient, et ceux qui ne partaient pas. D’ailleurs, ils n’auraient rien su dire, les yeux hors de la tête, soûls d’avoir gueulé autant que d’avoir bu. Un petit rigolo qui jouait de la trompette avec son nez, avait justement tiré mauvais ; tandis que les deux autres, pâlots, les yeux battus, étaient sûrement parmi les bons. L’enragé tambour, à leur tête, les aurait menés au fond de l’Aigre, qu’ils y auraient tous fait la culbute.

Enfin, devant la mairie, Delphin rendit le drapeau.

— Ah ! nom de Dieu, j’en ai assez de cette foutue mécanique qui m’a porté malheur !

Il saisit le bras de Nénesse, il l’emmena, pendant que les autres envahissaient le cabaret de Lengaigne, au milieu des parents et des amis, qui finirent alors par savoir. Macqueron apparut sur sa porte, navré de ce que la recette serait pour son rival.

— Viens, répéta Delphin d’une voix brève. Je vas te montrer quelque chose de drôle.