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LA TERRE.

songeais guère, à son argent ! Il m’a sauté dans la main… Voyons voir.

Lui, déjà, dépliait les papiers, additionnait à voix haute.

— Deux cent trente, et soixante-dix, trois cents tout ronds… C’est bien ça, j’avais calculé juste, à cause du trimestre, des quinze pièces de cent sous, l’autre fois, chez le percepteur… C’est du cinq pour cent. Hein ? est-ce drôle que des petits papiers si vilains, ça soit de l’argent tout de même, aussi solide que le vrai !

Mais Lise, de nouveau, le fit taire, effrayée d’un brusque ricanement du vieux, qui peut-être bien en était à la grande moisson, celle, sous Charles X, qu’on n’avait pu serrer, faute de place.

— Y en a ! y en a !… C’en est farce, tant y en a !… Ah ! bon sang ! quand y en a, y en a !

Et son rire étranglé avait l’air d’un râle, sa joie devait être tout au fond, car rien n’en paraissait sur sa face immobile.

— C’est des idées d’innocent qui lui passent, dit Buteau en haussant les épaules.

Il y eut un silence, tous les deux regardaient les papiers, réfléchissant.

— Alors, quoi ? finit par murmurer Lise, faut les remettre, hein ?

Mais, d’un geste énergique, il refusa.

— Oh ! si, si, faut les remettre… Il les cherchera, il criera, ça nous ferait une belle histoire, avec les autres cochons de la famille.

Elle s’interrompit une troisième fois, saisie d’entendre le père pleurer. C’était une misère, un désespoir immense, des sanglots qui semblaient venir de toute sa vie, et sans qu’on sût pourquoi, car il répétait seulement d’une voix de plus en plus creuse :

— C’est foutu… c’est foutu… c’est foutu…

— Et tu crois, reprit violemment Buteau, que je vas laisser ses papiers à ce vieux-là qui perd la boule !… Pour qu’il les déchire ou qu’il les brûle, ah ! non, par exemple !