Page:Emile Zola - La Terre.djvu/346

Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
LES ROUGON-MACQUART.

de se ficher du monde, sous le bonnet de police qu’il affectait de porter encore. Seulement, le gaillard se trompait, s’il croyait faire envie à l’autre : il avait beau lui conter des exploits de garnison, des menteries sur la noce, les filles et le vin, le paysan secouait la tête, stupéfié au fond, nullement tenté en somme. Non, non ! ça coûtait trop cher, s’il fallait quitter son coin ! Il avait déjà refusé deux fois d’aller faire fortune à Chartres, dans un restaurant, avec Nénesse.

— Mais, sacré cul-de-jatte ! lorsque tu seras soldat ?

— Oh ! soldat !… Eh ! donc, on tire un bon numéro !

Victor, plein de mépris, ne put le sortir de là. Quel grand lâche, quand on était bâti comme un Cosaque ! Il continuait, en causant, de vider les paniers dans la hotte, sans que le bougre pliât sous la charge. Et, par farce, en fanfaron, il désigna Berthe d’un signe, il ajouta :

— Dis donc, est-ce qu’il lui en est venu, depuis mon départ ?

Delphin fut secoué d’un gros rire, car le phénomène de la fille aux Macqueron restait la grande plaisanterie, entre jeunes gens.

— Ah ! je n’y ai pas mis le nez… Possible que ça lui ait poussé, au printemps.

— Ce n’est pas moi qui l’arroserai, conclut Victor avec une moue répugnée. Autant se payer une grenouille… Et puis, ce n’est guère sain, ça doit s’enrhumer, cet endroit-là, sans perruque.

Du coup, Delphin rigola si fort, que la hotte en chavirait sur son dos ; et il descendit, il la vidait au fond d’une gueulebée, qu’on l’entendait encore étrangler de rire.

Dans la vigne des Macqueron, Berthe continuait à faire la demoiselle, se servait de petits ciseaux, au lieu d’une serpe, avait peur des épines et des guêpes, se désespérait, parce que ses souliers fins, trempés de rosée, ne séchaient pas. Et elle tolérait les prévenances de Lequeu, qu’elle exécrait, flattée pourtant de cette cour du seul homme qui eût de l’instruction. Il finit par prendre son