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LA TERRE.

douceur, sans se fâcher, puisque maintenant la famille était à la réconciliation.

Lorsqu’on fut à Rognes, et que le vieux voulut descendre, les deux gaillards se précipitèrent, rivalisant de déférence et de tendresse.

— Père, appuyez-vous sur moi.

— Père, donnez-moi votre main.

Ils le reçurent, ils le déposèrent sur la route. Et lui, entre les deux, restait saisi, frappé au cœur d’une certitude, ne doutant plus désormais.

— Qu’est-ce que vous avez donc, vous autres, à m’aimer tant que ça ?

Leurs égards l’épouvantaient. Il les aurait préférés, comme à l’ordinaire, sans respect. Ah ! foutu sort ! allait-il en avoir des embêtements, maintenant qu’ils lui savaient des sous ! Il rentra au Château, désolé.

Justement, Canon, qui n’avait pas paru depuis deux mois, était là, assis sur une pierre, à attendre Jésus-Christ. Dès qu’il l’aperçut, il lui cria :

— Dis donc, ta fille est dans le bois aux Pouillard, et y a un homme dessus.

Du coup, le père manqua crever d’indignation, le sang au visage.

— Salope qui me déshonore !

Et, décrochant le grand fouet de routier, derrière la porte, il dévala par la pente rocheuse, jusqu’au petit bois. Mais les oies de la Trouille la gardaient comme de bons chiens, quand elle était sur le dos. Tout de suite, le jars flaira le père, s’avança, suivi de la bande. Les ailes soulevées, le cou tendu, il sifflait, dans une menace continue et stridente, tandis que les oies, déployées en ligne de bataille, allongeaient des cous pareils, leurs grands becs jaunes ouverts, prêts à mordre. Le fouet claquait, et l’on entendit une fuite de bête, sous les feuilles. La Trouille, avertie, avait filé.

Jésus-Christ, lorsqu’il eut raccroché le fouet, sembla envahi d’une grande tristesse philosophique. Peut-être le dévergondage entêté de sa fille lui faisait-il prendre en