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LA TERRE.

terme et qu’il flanquait dehors ; tantôt, il se retournait avec surprise, saluait gravement, comme si la table avait dit bonjour ; tantôt, il en avait tout un bouquet, pour monsieur le curé, pour monsieur le maire, et pour les dames. On aurait cru que le gaillard tirait de son ventre ce qu’il voulait, une vraie boîte à musique ; si bien qu’au Bon Laboureur, à Cloyes, on pariait : « Je te paye un verre, si tu en fais six », et il en faisait six, il gagnait à tous coups. Ça tournait à de la gloire, la Trouille en était fière, amusée, se tordant d’avance, dès qu’il levait la cuisse, en admiration continuelle devant lui, dans la terreur et la tendresse qu’il lui inspirait.

Et, le soir de l’installation du père Fouan au Château, ainsi qu’on nommait l’ancienne cave où se terrait le braconnier, dès le premier repas que la fille servit à son père et à son grand-père, debout derrière eux en servante respectueuse, la gaieté sonna ainsi, très haut. Le vieux avait donné cent sous, une bonne odeur se répandait, des haricots rouges et du veau aux oignons, que la petite cuisinait à s’en lécher les doigts. Comme elle apportait les haricots, elle faillit casser le plat, en se pâmant. Jésus-Christ, avant de s’asseoir, en lâchait trois, réguliers et claquant sec.

— Le canon de la fête !… C’est pour dire que ça commence !

Puis, se recueillant, il en fit un quatrième, solitaire, énorme et injurieux.

— Pour ces rosses de Buteau ! qu’ils se bouchent la gueule avec !

Du coup, Fouan, sombre depuis son arrivée, ricana. Il approuva d’un branle de la tête. Ça le mettait à l’aise, on le citait comme un farceur, lui aussi, en son temps ; et, dans sa maison, les enfants avaient grandi, tranquilles au milieu du bombardement paternel. Il posa les coudes sur la table, il se laissa envahir d’un bien-être, en face de ce grand diable de Jésus-Christ, qui le contemplait, les yeux humides, de son air de canaille bon enfant.

— Ah ! nom de Dieu ! papa, ce que nous allons nous la couler douce ! Vous verrez mon truc, je me charge de vous