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LES ROUGON-MACQUART.

la femme la déshabillait à moitié, pour voir. Elle en fut rapprochée de Jean, elle en arriva à lui donner des rendez-vous, heureuse de braver les autres. Peut-être lui aurait-elle cédé enfin, si elle les avait eus là, derrière elle. En tout cas, elle acheva de se promettre, elle lui jura, sur ce qu’elle avait de plus sacré, que Buteau mentait, lorsqu’il se vantait de coucher avec les deux sœurs, dans l’idée de faire le coq et de forcer à être des choses qui n’étaient pas. Jean, tourmenté d’un doute, trouvant au fond l’affaire possible et naturelle, parut la croire. Et, en se quittant, ils s’embrassèrent, très bons amis, si bien qu’à partir de ce jour, elle le prit pour confident et conseil, tâchant de le voir à la moindre alerte, ne risquant rien sans son approbation. Lui, ne la touchait plus du tout, la traitait en camarade avec qui l’on a des intérêts communs.

Maintenant, chaque fois que Françoise courait rejoindre Jean derrière un mur, la conversation était la même. Elle dégrafait violemment son corsage, ou retroussait sa jupe.

— Tiens ! ce cochon-là m’a encore pincée.

Il constatait, restait froid et résolu.

— Ça se payera, faut montrer ça aux voisines… Surtout, ne te revenge pas. La justice sera pour nous, quand nous aurons le droit.

— Et ma sœur tiendrait la chandelle, tu sais ! Est-ce qu’hier, lorsqu’il a sauté sur moi, elle n’a pas filé, au lieu de lui allonger par derrière un seau d’eau froide !

— Ta sœur, elle finira mal avec ce bougre… Tout ça est bon. Si tu ne veux pas, il ne peut pas, c’est sûr ; et, quant au reste, qu’est-ce que ça nous fiche ?… Soyons d’accord, il est foutu.

Le père Fouan, bien qu’il évitât de s’en mêler, était de toutes les querelles. S’il se taisait, on le forçait à prendre parti ; s’il sortait, il retombait au retour dans un ménage en déroute, où sa présence suffisait souvent à rallumer les colères. Jusque-là, il n’avait pas souffert réellement, physiquement ; tandis que commençaient à cette heure les privations, le pain mesuré, les douceurs suppri-