Page:Emile Zola - La Terre.djvu/295

Cette page a été validée par deux contributeurs.
295
LA TERRE.

— Voyons, père Fouan, voulez-vous aller chez Buteau pour m’avoir Françoise ?… C’est vous le maître, vous n’avez qu’à parler.

Le vieillard, dans l’ombre, répétait d’une voix saccadée :

— Je ne peux pas… je ne peux pas…

Puis, il éclata, il avoua. C’était fini avec les Delhomme, il s’en irait le lendemain vivre chez Buteau, qui lui avait offert de le prendre. Si son fils le battait, il souffrirait moins que d’être tué par sa fille à coups d’épingle.

Exaspéré de ce nouvel obstacle, Jean parla enfin.

— Faut que je vous dise, père Fouan, c’est que nous avons couché, Françoise et moi.

Le vieux paysan eut une simple exclamation.

— Ah !

Puis, après avoir réfléchi :

— Est-ce que la fille est grosse ?

Jean, certain qu’elle ne pouvait l’être, puisqu’ils avaient triché, répondit :

— Possible tout de même.

— Alors, il n’y a qu’à attendre… Si elle est grosse, on verra.

À ce moment, Fanny parut sur la porte, appelant son père pour la soupe. Mais il se tourna, il gueula :

— Tu peux te la foutre au cul, ta soupe ! Je vas dormir.

Et il monta se coucher, le ventre vide, par rage.

Jean reprit le chemin de la ferme, d’un pas ralenti, si tourmenté de chagrin, qu’il se retrouva sur le plateau, sans avoir eu conscience de la route. La nuit, d’un bleu sombre, criblée d’étoiles, était lourde et brûlante. Dans l’air immobile, on sentait de nouveau l’approche, le passage au loin de quelque orage, dont on ne voyait, du côté de l’est, que des réverbérations d’éclairs. Et, comme il levait la tête, il aperçut, à gauche, des centaines d’yeux phosphorescents qui flambaient, pareils à des chandelles, et qui se tournaient vers lui, au bruit de ses pas. C’étaient les moutons dans leur parc, le long duquel il passait.