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LA TERRE.

— Ce n’est pas tout ça, dit Buteau après une hésitation, et l’argent de vos économies ?… Si vous avez de l’argent, n’est-ce pas ? vous n’allez pas bien sûr accepter le nôtre.

Il regardait son père fixement, ayant réservé ce coup pour la fin. Le vieux était devenu très pâle.

— Quel argent ? demanda-t-il.

— Mais l’argent placé, l’argent dont vous cachez les titres.

Buteau, qui soupçonnait seulement le magot, voulait se faire une certitude. Certain soir, il avait cru voir son père prendre, derrière une glace, un petit rouleau de papiers. Le lendemain et les jours suivants, il s’était mis aux aguets ; mais rien n’avait reparu, il ne restait que le trou vide.

Fouan, de blême qu’il était, devint subitement très rouge, sous le flot de sa colère qui éclatait enfin. Il se leva, cria avec un furieux geste :

— Ah ! çà, nom de Dieu ! vous fouillez dans mes poches, maintenant ! Je n’ai pas un sou, pas un liard de placé. Vous avez trop coûté pour ça, mauvais bougres !… Mais est-ce que ça vous regarderait, est-ce que je ne suis pas le maître, le père ?

Il semblait grandir, dans ce réveil de son autorité. Pendant des années, tous, la femme et les enfants, avaient tremblé sous lui, sous ce despotisme rude du chef de la famille paysanne. On se trompait, si on le croyait fini.

— Oh ! papa, voulut ricaner Buteau.

— Tais-toi, nom de Dieu ! continua le vieux, la main toujours en l’air, tais-toi, ou je cogne !

Le cadet bégaya, se fit tout petit sur sa chaise. Il avait senti le vent de la gifle, il était repris des peurs de son enfance, levant le coude pour se garer.

— Et toi, Hyacinthe, n’aie pas l’air de rire ! et toi, Fanny, baisse les yeux !… Aussi vrai que le soleil nous éclaire, je vas vous faire danser, moi !

Il était seul debout et menaçant. La mère tremblait, comme si elle eût craint les torgnoles égarées. Les enfants