Page:Emile Zola - La Terre.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
LES ROUGON-MACQUART.

d’un mouvement inconscient de grenouille qui plonge.

— Voyons, reprit la Bécu, pour vous tranquilliser, j’y vas aller, moi, et je vous donnerai des nouvelles.

Dès lors, elle ne fit que courir de la chambre à l’étable. Même, pour s’épargner du chemin, elle finit par crier les nouvelles, du milieu de la cuisine. Le vétérinaire continuait son dépeçage, dans la litière trempée de sang et de glaires, une pénible et sale besogne, dont il sortait abominable, souillé de haut en bas.

— Ça va bien, Lise, criait la Bécu. Poussez sans regret… Nous avons l’autre épaule. Et, maintenant, c’est la tête qu’on arrache… Il la tient, la tête, oh ! une tête !… Et c’est fini, de ce coup, le corps est venu d’un paquet.

Lise accueillait chaque phase de l’opération d’un soupir déchirant ; et l’on ne savait si elle souffrait pour elle ou pour le veau. Mais, brusquement, Buteau apporta la tête, voulant la lui montrer. Ce fut une exclamation générale.

— Oh ! le beau veau !

Elle, sans cesser le travail, poussant plus rude, les muscles tendus, les cuisses gonflées, parut prise d’un inconsolable désespoir.

— Mon Dieu ! est-ce malheureux !… Oh ! le beau veau, mon Dieu !… Est-ce malheureux, un si beau veau, un veau si beau, qu’on n’en a jamais vu de si beau !

Françoise également se lamentait, et les regrets de tous devinrent si agressifs, si pleins de sous-entendus hostiles, que Patoir s’en blessa. Il accourut, il s’arrêta pourtant à la porte, par décence.

— Dites donc, je vous avais avertis… Vous m’avez supplié de sauver votre vache… C’est que je vous connais, mes bougres ! Faut pas aller raconter partout que je vous ai tué votre veau, hein ?

— Bien sûr, bien sûr, murmura Buteau, en retournant dans l’étable avec lui. Tout de même, c’est vous qui l’avez coupé.

Par terre, Lise, entre ses trois chaises, était parcourue d’une houle, qui lui descendait des flancs, sous la peau,