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LA TERRE.

dans une protestation rancunière et jalouse de tout son être.

— Veux-tu me laisser, cochon !… Je te mords !

Une seconde fois, il dut y renoncer. Mais il bégayait de fureur, enragé de ce plaisir qu’on avait pris sans lui.

— Ah ! je m’en doutais que vous fricassiez ensemble !… J’aurais dû le foutre dehors depuis longtemps… Nom de Dieu de cateau ! qui te fais tanner le cuir par ce vilain bougre !

Et le flot d’ordures continua, il lâcha tous les mots abominables, parla de l’acte avec une crudité, qui la remettait nue, honteusement. Elle, enragée aussi, raidie et pâle, affectait un grand calme, répondait à chaque saleté, d’une voix brève :

— Qu’est-ce que ça te fiche ?…. Si ça me plaît, est-ce que je ne suis pas libre ?

— Eh bien ! je vas te flanquer à la porte, moi ! Oui, tout à l’heure, en rentrant… Je vas dire la chose à Lise, comment je t’ai trouvée, ta chemise sur la tête ; et tu iras te faire tamponner ailleurs, puisque ça t’amuse.

Maintenant, il la poussait devant lui, il la ramenait vers le champ, où sa femme attendait.

— Dis-le à Lise… Je m’en irai, si je veux.

— Si tu veux, ah ! c’est ce que nous allons voir !… À coups de pied au cul !

Pour couper au plus court, il lui faisait traverser la pièce des Cornailles restée jusque-là indivise entre elle et sa sœur, cette pièce dont il avait toujours retardé le partage ; et, brusquement, il demeura saisi, une idée aiguë lui était sautée au cerveau : il avait vu dans un éclair, s’il la chassait, le champ tranché en deux, la moitié emportée par elle, donnée au galant peut-être. Cette idée le glaça, fit tomber net son désir exaspéré. Non ! c’était bête, fallait pas tout lâcher pour une fois qu’une fille vous laissait le bec en l’air. Ça se retrouve, la gaudriole ; tandis que la terre, quand on la tient, le vrai est de la garder.

Il ne disait plus rien, il avançait d’un pas ralenti, ennuyé, ne sachant comment rattraper ses violences, avant de rejoindre sa femme. Enfin, il se décida.