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LA TERRE.

dieu… Je ne suis qu’un cochon, je vous déshonore, faut que j’en finisse. Ah ! cochon ! tout ce que je mérite, c’est de boire un coup dans l’Aigre, jusqu’à plus soif… Si seulement j’avais trente francs…

Fouan, excédé, vaincu par cette scène, tressaillit, à ce chiffre de trente francs. Il écarta l’assiette. À quoi bon ? puisque le bougre les voyait et les comptait à travers la faïence.

— Tu veux tout, est-ce raisonnable, nom de Dieu !… Tiens ! tu nous assommes, prends-en la moitié, et file, qu’on ne te revoie pas !

Jésus-Christ, guéri soudain, parut se consulter, puis déclara :

— Quinze francs, non, c’est trop court, ça ne peut pas faire l’affaire… Mettons-en vingt, et je vous lâche.

Ensuite, lorsqu’il tint les quatre pièces de cent sous, il les égaya tous, en leur racontant le tour qu’il avait joué à Bécu, de fausses lignes de fond, placées dans la partie réservée de l’Aigre, de telle manière que le garde champêtre était tombé à l’eau, en voulant les retirer. Et il s’en alla enfin, après s’être fait offrir un verre du mauvais vin de Delhomme, qu’il traita de sale canaille, pour oser donner à un père cette drogue-là.

— Tout de même, il est gentil, dit Rose, lorsqu’il eut refermé la porte.

La Grande s’était mise debout, pliant son tricot, près de partir. Elle regarda sa belle-sœur, puis son frère, fixement ; et elle sortit à son tour, après leur avoir crié, dans une colère longtemps contenue :

— Pas un sou, foutues bêtes ! ne me demandez pas un sou, jamais ! jamais !

Dehors, elle rencontra Buteau, qui revenait de chez Macqueron, étonné d’y avoir vu entrer Jésus-Christ, très gai, la poche sonnante d’écus. Il avait soupçonné vaguement l’histoire.

— Eh ! oui, cette grande canaille emporte ton argent. Ah ! ce qu’il va se gargariser avec, en se fichant de toi !

Buteau, hors de lui, tapa des deux poings dans la porte