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LA TERRE.

— Dis, rentre ta chemise, c’est dégoûtant.

Il était mal planté, il s’emporta.

— Nom de Dieu ! as-tu fini de m’éplucher ?… Ne regarde pas, si ça t’offusque… T’as donc bien envie d’en tâter, morveuse, que t’es toujours là-dessus ?

Elle rougit encore, elle bégaya, tandis que Lise avait le tort d’ajouter :

— Il a raison, tu nous embêtes à la fin… Va-t’en, si l’on n’est plus libre chez soi.

— C’est ça, je m’en irai, dit rageusement Françoise, qui sortit en faisant claquer la porte.

Mais, le lendemain, Buteau était redevenu gentil, conciliant et goguenard. Dans la nuit, le ciel s’était couvert, il tombait depuis douze heures une pluie fine, tiède, pénétrante, une de ces pluies d’été qui ravivent la campagne ; et il avait ouvert la fenêtre, sur la plaine, il était là dès l’aube, à regarder cette eau, radieux, les mains dans les poches, répétant :

— Nous v’là bourgeois, puisque le bon Dieu travaille pour nous… Ah ! sacré tonnerre ! des journées passées comme ça, à faire le feignant, ça vaut mieux que les journées où l’on s’esquinte sans profit.

Lente, douce, interminable, la pluie ruisselait toujours ; et il entendait la Beauce boire, cette Beauce sans rivières et sans sources, si altérée. C’était un grand murmure, un bruit de gorge universel, où il y avait du bien-être. Tout absorbait, se trempait, tout reverdissait dans l’averse. Le blé reprenait une santé de jeunesse, ferme et droit, portant haut l’épi, qui allait se gonfler, énorme, crevant de farine. Et lui, comme la terre, comme le blé, buvait par tous ses pores, détendu, rafraîchi, guéri, revenant se planter devant la fenêtre, pour crier :

— Allez, allez donc !… C’est des pièces de cent sous qui tombent !

Brusquement, il entendit quelqu’un ouvrir la porte, il se tourna, et il eut la surprise de reconnaître le vieux Fouan.

— Tiens ! le père !… Vous venez donc de la chasse aux grenouilles ?