Page:Emile Zola - La Terre.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.
168
LES ROUGON-MACQUART.

— Quarante pistoles, merci ! murmura Françoise.

— Quarante pistoles pour toi, petiote ! dit-il en lui allongeant une tape dans le dos, histoire de plaisanter.

Mais elle se fâcha, elle lui rendit sa tape, d’un air furieux de rancune.

— Fiche-moi la paix, hein ? Je ne joue pas avec les hommes.

Il s’en égaya plus fort, il se tourna vers Lise, qui restait sérieuse, un peu pâle.

— Et toi, veux-tu que je m’en mêle ? Je parie que je l’ai à trente pistoles… Paries-tu cent sous ?

— Oui, je veux bien… Si ça te plaît d’essayer…

Rose et Fanny approuvaient de la tête, car elles savaient le garçon féroce au marché, têtu, insolent, menteur, voleur, à vendre les choses trois fois leur prix et à se faire donner tout pour rien. Les femmes le laissèrent donc s’avancer avec Jean, tandis qu’elles s’attardaient en arrière, afin qu’il n’eût pas l’air d’être avec elles.

La foule augmentait du côté des bestiaux, les groupes quittaient le centre ensoleillé de la place, pour se porter sous les allées. Il y avait là un va-et-vient continu, le bleu des blouses se fonçait à l’ombre des tilleuls, des taches mouvantes de feuilles verdissaient les visages colorés. Du reste, personne n’achetait encore, pas une vente n’avait eu lieu, bien que le marché fût ouvert depuis une heure. On se recueillait, on se tâtait. Mais, au-dessus des têtes, dans le vent tiède, un tumulte passa. C’étaient deux chevaux, attachés côte à côte, qui se dressaient et se mordaient, avec des hennissements furieux et le raclement de leurs sabots sur le pavé. On eut peur, des femmes s’enfuirent ; pendant que, accompagnés de jurons, de grands coups de fouet qui claquaient comme des coups de feu, ramenaient le calme. Et, à terre, dans le vide laissé par la panique, une bande de pigeons s’abattit, marchant vite, piquant l’avoine du crottin.

— Eh bien ! la mère, qu’est-ce que vous la vendez donc ? demanda Buteau à la paysanne.

Celle-ci, qui avait vu le manège, répéta tranquillement :