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LES ROUGON-MACQUART.

de ne pas aller au conseil, la question du chemin ne l’intéressant pas ; et il espérait même que son absence entraverait le vote. Puis, la venue de M. de Chédeville le torturant de curiosité, il s’était décidé à monter, pour savoir.

— Bon ! nous voilà six, nous pourrons voter, s’écria le maire.

Et Lequeu, qui servait de secrétaire, ayant paru d’un air rogue et maussade, le registre des délibérations sous le bras, rien ne s’opposa plus à ce qu’on ouvrît la séance. Mais Delhomme s’était mis à causer bas avec son voisin, Clou, le maréchal-ferrant, un grand, sec et noir. Comme on les écoutait, ils se turent. Pourtant, on avait saisi un nom, celui du candidat indépendant, M. Rochefontaine ; et tous alors, après s’être tâtés, tombèrent d’un mot, d’un ricanement, d’une simple grimace, sur ce candidat qu’on ne connaissait seulement point. Ils étaient pour le bon ordre, le maintien des choses, l’obéissance aux autorités qui assuraient la vente. Est-ce que ce monsieur-là se croyait plus fort que le gouvernement ? est-ce qu’il ferait remonter le blé à trente francs l’hectolitre ? C’était un fier aplomb, d’envoyer des prospectus, de promettre plus de beurre que de pain, lors qu’on ne tenait à rien ni à personne. Ils en arrivaient à le traiter en aventurier, en malhonnête homme, battant les villages, histoire de voler leurs votes comme il aurait volé leurs sous. Hourdequin, qui aurait pu leur expliquer que M. Rochefontaine, libre échangiste, était, au fond, dans les idées de l’empereur, laissait volontairement Macqueron étaler son zèle bonapartiste et Delhomme se prononcer avec son bon sens d’homme borné ; tandis que Lengaigne, à qui sa situation de buraliste fermait la bouche, ravalait, en grognant dans un coin, ses vagues idées républicaines. Bien que M. de Chédeville n’eût pas été nommé une seule fois, tout ce qu’on disait le désignait, était comme un aplatissement devant son titre de candidat officiel.

— Voyons, messieurs, reprit le maire, si nous commencions.

Il s’était assis devant la table, sur son fauteuil de prési-