Page:Emile Zola - La Terre.djvu/151

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
LA TERRE.

mécanique d’un nouveau système, achetée récemment. Et le valet, ne se méfiant pas, ne reconnaissant pas son maître, dans cette voiture inconnue, continuait à plaisanter la mécanique, avec trois paysans qu’il avait arrêtés au passage.

— Hein ! disait-il, en voilà, un sabot !… Et ça casse l’herbe, ça l’empoisonne. Ma parole ! il y a trois moutons déjà qui en sont morts.

Les paysans ricanaient, examinaient la faneuse comme une bête farce et méchante. Un d’eux déclara :

— Tout ça, c’est des inventions du diable contre le pauvre monde… Qu’est-ce qu’elles feront, nos femmes, si l’on se passe d’elles, aux foins ?

— Ah bien ! ce qu’ils s’en foutent, les maîtres ! reprit le valet, en allongeant un coup de pied à la machine. Hue donc, carcasse !

Hourdequin avait entendu. Il sortit violemment le buste hors de la voiture, il cria :

— Retourne à la ferme, Zéphyrin, et fais-toi régler ton compte !

Le valet demeura stupide, les trois paysans s’en allèrent avec des rires d’insulte, des moqueries, lâchées très haut.

— Voilà ! dit Hourdequin, en se laissant retomber sur la banquette. Vous avez vu… On dirait que nos outils perfectionnés leur brûlent les mains… Ils me traitent de bourgeois, ils donnent à ma ferme moins de travail que dans les autres, sous prétexte que j’ai de quoi payer cher ; et ils sont soutenus par les fermiers, mes voisins, qui m’accusent d’apprendre dans le pays à mal travailler, furieux de ce que, disent-ils, ils ne trouveront bientôt plus du monde pour faire leur ouvrage comme au bon temps.

Le cabriolet entrait dans Rognes par la route de Bazoches-le-Doyen, lorsque le député aperçut l’abbé Godard qui sortait de chez Macqueron, où il avait déjeuné ce dimanche-là, après sa messe. Le souci de sa réélection le reprit, il demanda :

— Et l’esprit religieux, dans nos campagnes ?