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LA TERRE.

drap noir, bordé de velours ; et, de ses yeux vifs, elle fouillait les coins, avec l’évidente rêverie de tous les titres de biens qui dormaient là ; tandis que l’homme, de cinq ans plus âgé, roux et placide, en pantalon noir et en longue blouse de toile bleue, toute neuve, tenait sur ses genoux son chapeau de feutre rond, sans que l’ombre d’une pensée animât sa large face de terre cuite, rasée soigneusement, trouée de deux gros yeux bleu-faïence, d’une fixité de bœuf au repos.

Mais une porte s’ouvrit, maître Baillehache, qui venait de déjeuner en compagnie de son beau-frère, le fermier Hourdequin, parut très rouge, frais encore pour ses cinquante-cinq ans, avec ses lèvres épaisses, ses paupières bridées, dont les rides faisaient rire continuellement son regard. Il portait un binocle et avait le continuel geste maniaque de tirer les longs poils grisonnants de ses favoris.

— Ah ! c’est vous, Delhomme, dit-il. Le père Fouan s’est donc décidé au partage ?

Ce fut la femme qui répondit.

— Mais oui, monsieur Baillehache… Nous avons tous rendez-vous, pour tomber d’accord et pour que vous nous disiez comment on fait.

— Bon, bon, Fanny, on va voir… Il n’est qu’une heure à peine, il faut attendre les autres.

Et le notaire causa un instant encore, demandant le prix du blé en baisse depuis deux mois, témoignant à Delhomme la considération amicale due à un cultivateur qui possédait une vingtaine d’hectares, un serviteur et trois vaches. Puis, il rentra dans son cabinet.

Les clercs n’avaient pas levé la tête, exagérant les craquements de leurs plumes ; et, de nouveau, les Delhomme attendirent, immobiles. C’était une chanceuse, cette Fanny, d’avoir été épousée par un amoureux honnête et riche, sans même être enceinte, elle qui, pour sa part, n’espérait du père Fouan que trois hectares environ. Son mari, du reste, ne se repentait pas, car il n’aurait pu trouver une ménagère plus intelligente ni plus active, au