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LA TERRE.

— Oui, il le sait, et il sait aussi que le père Fouan a loué à son gendre Delhomme la part dont lui, Buteau, n’a pas voulu ; il sait que monsieur Baillehache a été furieux, à ce point qu’il a juré de ne plus jamais laisser tirer les lots, avant d’avoir fait signer les papiers… Oui, oui, il sait que tout est fini.

— Ah ! et il ne dit rien ?

— Non, il ne dit rien.

Lise, silencieusement, se courba, marcha un instant, arrachant les herbes, ne montrant plus d’elle que la rondeur enflée de son derrière ; puis, elle tourna le cou, elle ajouta, la tête en bas :

— Voulez-vous savoir, Caporal ? eh bien ! ça y est, je peux garder Jules pour compte.

Jean qui, jusque-là, lui donnait des espérances, hocha le menton.

— Ma foi ! je crois que vous êtes dans le vrai.

Et il jeta un regard sur Jules, qu’il avait oublié. Le mioche, serré dans son maillot, dormait toujours, avec sa petite face immobile, noyée de lumière. C’était ça l’embêtant, ce gamin ! Autrement, pourquoi n’aurait-il pas épousé Lise, puisqu’elle se trouvait libre ? Cette idée lui venait là, tout d’un coup, à la regarder au travail. Peut-être bien qu’il l’aimait, que le plaisir de la voir l’attirait seul dans la maison. Il en restait surpris pourtant, ne l’ayant pas désirée, n’ayant même jamais joué avec elle, comme il jouait avec Françoise, par exemple. Et, justement, en levant la tête, il aperçut celle-ci, demeurée toute droite et furieuse au soleil, les yeux si luisants de passion, si drôles, qu’il en fut égayé, dans le trouble de sa découverte.

Mais un bruit de trompette, un étrange turlututu d’appel se fit entendre ; et Lise, quittant ses pois, s’écria :

— Tiens ! Lambourdieu !… J’ai une capeline à lui commander.

De l’autre côté de la haie, sur le chemin, apparut un petit homme court, trompetant et précédant une grande voiture longue, que traînait un cheval gris. C’était Lam-