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LES ROUGON-MACQUART.

Mais Fanny examinait la bouteille, qu’il lui remettait, et elle s’écria :

— Imbécile, je t’avais dit à gauche !… Tu m’apportes l’eau de Cologne.

— C’est bon aussi, répéta la Bécu.

On fit prendre de force au vieux une tasse de tilleul, en introduisant la cuiller entre ses dents serrées. Puis, on lui frictionna la tête avec l’eau de Cologne. Et il n’allait pas mieux, c’était désespérant. Sa face avait encore noirci, on fut obligé de le remonter sur la chaise, car il s’effondrait, il menaçait de s’aplatir par terre.

— Oh ! murmura Nénesse, retourné sur la porte, je ne sais pas ce qu’il va pleuvoir… Le ciel est d’une drôle de couleur.

— Oui, dit Jean, j’ai vu grandir un vilain nuage.

Et, comme ramené à sa première idée :

— N’empêche, j’irai bien encore chercher le médecin, si l’on veut.

Lise et Françoise se regardaient, anxieuses. Enfin, la seconde se décida, avec la générosité de son jeune âge.

— Oui, oui, Caporal, allez à Cloyes chercher M. Finet… Il ne sera pas dit que nous n’aurons pas fait ce que nous devons faire.

Le cheval, au milieu de la bousculade, n’avait pas même été dételé, et Jean n’eut qu’à sauter dans la carriole. On entendit le bruit de ferraille, la fuite cahotée des roues. La Frimat, alors, parla du curé ; mais les autres, d’un geste, dirent qu’on se donnait déjà assez de mal. Et Nénesse ayant proposé de faire à pied les trois kilomètres de Bazoches-le-Doyen, sa mère se fâcha : bien sûr qu’elle ne le laisserait pas galoper par une nuit si menaçante, sous cet affreux ciel couleur de rouille. D’ailleurs, puisque le vieux n’entendait ni ne répondait, autant aurait-il valu déranger le curé pour une borne.

Dix heures sonnèrent au coucou de bois peint. Ce fut une surprise : dire qu’on était là depuis plus de deux heures, sans avancer en besogne ! Et pas une ne parlait de lâcher pied, retenue par le spectacle, voulant voir jusqu’au