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Épouvantée, madame Chanteau était accourue, tandis que Mathieu hurlait, dans les vagues jusqu’au ventre.

— Mon Dieu ! quelle imprudence !… Je le disais bien que vous alliez trop loin !

Pauline s’était évanouie. Lazare la porta comme une enfant sur le sable ; et elle demeurait contre sa poitrine, à demi nue maintenant, tous deux ruisselant d’eau amère. Aussitôt, elle soupira, ouvrit les yeux. Quand elle reconnut le jeune homme, elle éclata en gros sanglots, elle l’étouffa dans une étreinte nerveuse, en lui baisant la face à pleines lèvres, au hasard. C’était comme inconscient, l’élan libre de l’amour, qui sortait de ce danger de mort.

— Oh ! que tu es bon ! Lazare, oh ! que je t’aime !

Il resta tout secoué de l’emportement de ce baiser. Lorsque madame Chanteau la rhabilla, il s’écarta de lui-même. La rentrée à Bonneville fut douce et pénible, l’un et l’autre semblaient brisés de fatigue. Entre eux, la mère marchait, en réfléchissant que l’heure était venue de prendre un parti.

D’autres inquiétudes agitèrent la famille. L’usine du Trésor était bâtie, on essayait depuis huit jours les appareils, qui donnaient des résultats déplorables. Lazare dut s’avouer qu’il avait mal combiné certaines pièces. Il se rendit à Paris, pour consulter son maître Herbelin, et il revint désespéré : tout devait être refait, le grand chimiste avait déjà perfectionné sa méthode, ce qui modifiait absolument les appareils. Cependant, les soixante mille francs étaient mangés, Boutigny refusait de mettre un sou de plus : du matin au soir, il parlait amèrement des gaspillages, avec la ténacité insupportable de l’homme pratique qui triomphe. Lazare avait des envies de le