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LA JOIE DE VIVRE.

était de regarder la mer, toujours vivante, livide par les temps noirs de décembre, d’un vert délicat de moire changeante aux premiers soleils de mai. L’année fut heureuse d’ailleurs, le bonheur que sa présence semblait avoir amené dans la maison, se manifesta encore par un envoi inespéré de cinq mille francs, que Davoine fit aux Chanteau, pour éviter une rupture dont ils le menaçaient. Très scrupuleusement, la tante allait chaque trimestre toucher à Caen les rentes de Pauline, prélevait ses frais et la pension allouée par le conseil de famille, puis achetait de nouveaux titres avec le reste ; et, lorsqu’elle rentrait, elle voulait que la petite l’accompagnât dans sa chambre, elle ouvrait le fameux tiroir du secrétaire, en répétant :

— Tu vois, je mets celui-ci sur les autres… Hein ? le tas grossit. N’aie pas peur, tu retrouveras le tout, il n’y manquera pas un centime.

En août, Lazare tomba un beau matin, en apportant la nouvelle d’un succès complet à son examen de fin d’année. Il ne devait arriver qu’une semaine plus tard, il avait voulu surprendre sa mère. Ce fut une grande joie. Dans les lettres qu’il écrivait tous les quinze jours, il avait montré une passion croissante pour la médecine. Lorsqu’il fut là, il leur parut absolument changé, ne parlant plus musique, finissant par les ennuyer avec ses continuelles histoires sur ses professeurs et ses dissertations scientifiques à propos de tout, des plats qu’on servait, du vent qui soufflait. Une nouvelle fièvre l’emportait, il s’était donné entier, fougueusement, à l’idée d’être un médecin de génie, dont l’apparition bouleverserait les mondes.

Pauline surtout, après lui avoir sauté au cou en