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Il y eut un silence, pendant qu’elle reprenait le petit dans une étreinte maternelle.

— Pourquoi ne te maries-tu pas, si tu aimes tant les enfants ? demanda Lazare.

Elle demeura stupéfaite.

— Mais j’ai un enfant ! est-ce que tu ne me l’as pas donné ?… Me marier ! jamais de la vie, par exemple !

Elle berçait le petit Paul, elle riait plus haut, en racontant plaisamment que son cousin l’avait convertie au grand saint Schopenhauer, qu’elle voulait rester fille afin de travailler à la délivrance universelle ; et c’était elle, en effet, le renoncement, l’amour des autres, la bonté épandue sur l’humanité mauvaise. Le soleil se couchait dans la mer immense, du ciel pâli descendait une sérénité, l’infini de l’eau et l’infini de l’air prenaient cette douceur attendrie d’un beau jour à son déclin. Seule, une petite voile blanche, très loin, mettait encore une étincelle, qui s’éteignit, lorsque l’astre fut descendu sous la grande ligne droite et simple de l’horizon. Alors, il n’y eut plus que la tombée lente du crépuscule sur les flots immobiles. Et elle berçait toujours l’enfant, avec son rire de vaillance, debout au milieu de la terrasse bleuie par l’ombre, entre son cousin accablé et son oncle qui geignait. Elle s’était dépouillée de tout, son rire éclatant sonnait le bonheur.

— On ne dîne donc pas, ce soir ? demanda Louise, qui parut dans une coquette robe de soie grise.

— Moi, je suis prête, répondit Pauline. Je ne sais ce qu’ils peuvent faire au jardin.

À ce moment, l’abbé Horteur revint, l’air bouleversé. Comme on l’interrogeait avec inquiétude, il