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recevoir et retenir le petit Paul. Il avait beau écarter les genoux, ces doigts si frêles, qui se cramponnaient à son pantalon, lui arrachaient des soupirs prolongés. L’enfant était accoutumé déjà au gémissement sans fin du vieillard, vivant près de lui, s’imaginant sans doute, dans son intelligence à peine éveillée, que tous les grands-pères souffraient ainsi. Pourtant, ce jour-là, au grand soleil, quand il venait tomber contre lui, il levait sa petite face, s’arrêtait de rire, le regardait de ses yeux vacillants. Les deux mains difformes semblaient des blocs monstrueux de chair et de craie ; le visage, creusé de pris rouges, massacré de souffrance, était comme retourné violemment sur l’épaule droite ; tandis que le corps entier avait les bosses et les cassures d’un débris de vieux saint de pierre mal recollé. Et Paul paraissait surpris de le voir au soleil, si malade et si ancien.

— Encore une fois ! encore une fois ! criait Pauline.

Elle, vibrante de gaieté et de santé, le lançait toujours de l’un à l’autre, du grand-père obstiné dans la douleur, au père déjà mangé par l’épouvante du lendemain.

— Celui-là sera peut-être d’une génération moins bête, dit-elle tout à coup. Il n’accusera pas la chimie de lui gâter la vie, et il croira qu’on peut vivre, même avec la certitude de mourir un jour.

Lazare se mit à rire, embarrassé.

— Bah ! murmura-t-il, il aura la goutte comme papa et ses nerfs seront plus détraqués que les miens… Regarde donc comme il est faible ! C’est la loi des dégénérescences.

— Veux-tu te taire ! s’écria Pauline. Je l’élèverai, et tu verras si j’en fais un homme !