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LES ROUGON-MACQUART.

tés à Bonneville. Près de la fenêtre, une vieille armoire normande, immense, débordait d’un fouillis d’objets extraordinaires, des échantillons de minéralogie, des outils hors d’usage, des jouets d’enfant éventrés. Et il y avait encore le piano, surmonté d’une paire de fleurets et d’un masque d’escrime, sans compter l’énorme table du milieu, une ancienne table à dessiner, très haute, encombrée de papiers, d’images, de pots à tabac, de pipes, et où il était difficile de trouver une place large comme la main pour écrire.

Pauline, lâchée dans ce désordre, fut ravie. Elle mit un mois à explorer la pièce ; et c’était chaque jour des découvertes nouvelles, un Robinson avec des gravures trouvé dans la bibliothèque, un polichinelle repêché sous l’armoire. Aussitôt levée, elle sautait de sa chambre chez son cousin, s’installait, remontait l’après-midi, vivait là. Lazare, dès le premier jour, l’avait acceptée comme un garçon, un frère cadet, de neuf ans plus jeune que lui, mais si gai, si drôle, avec ses grands yeux intelligents, qu’il ne se gênait plus, fumait sa pipe, lisait renversé sur une chaise, les pieds en l’air, écrivait de longues lettres, où il glissait des fleurs. Seulement, le camarade devenait parfois d’une turbulence terrible. Brusquement, elle grimpait sur la table, ou bien elle passait d’un bond au travers du paravent crevé. Un matin, comme il se tournait en ne l’entendant plus, il l’aperçut, le visage couvert du masque d’escrime, un fleuret à la main, saluant le vide. Et, s’il lui criait d’abord de rester tranquille, s’il la menaçait de la mettre dehors, cela se terminait d’habitude par d’effrayantes parties à deux, des gambades de chèvre au milieu de la chambre bouleversée. Elle se jetait à