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entrer dans l’entendement. Pourquoi donc n’avoir pas la pitié mutuelle de s’épargner ? pourquoi ne pas s’accommoder l’un de l’autre, lorsqu’on doit vivre ensemble ? Il lui semblait si facile de mettre le bonheur dans l’habitude et dans la compassion. Et elle était navrée, elle regardait toujours leur mariage comme son œuvre, une œuvre qu’elle aurait voulue bonne, solide, la récompensant au moins de son sacrifice par la certitude d’avoir agi avec sagesse.

— Je ne te reproche pas le gaspillage de ma fortune, poursuivait Louise.

— Il ne manquerait plus que ça ! criait Lazare. Ce n’est pas ma faute, si l’on m’a volé.

— Oh ! l’on vole seulement les maladroits qui se laissent vider les poches… Nous n’en sommes pas moins réduits à quatre ou cinq pauvres mille francs de rente, de quoi vivre bien juste dans ce trou. Sans Pauline, notre enfant irait tout nu un jour, car je m’attends bien à ce que tu manges le reste, avec tes idées extraordinaires, tes entreprises qui avortent les unes après les autres.

— Va, continue, ton père m’a déjà fait ces jolis compliments, hier. J’ai deviné que tu lui avais écrit. Aussi ai-je lâché cette affaire des engrais, une opération certaine où il y avait cent pour cent à gagner. Mais je suis comme toi, j’en ai assez, du diable si je me remue davantage !… Nous vivrons ici.

— Une belle existence, n’est-ce pas ? pour une femme de mon âge. Une vraie prison ; pas une occasion seulement de sortir et de voir du monde ; toujours cette mer bête, là, devant vous, qui semble encore élargir votre ennui… Ah ! si j’avais su, si j’avais su !