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autres samedis, un pain et quarante sous. Mais il recula encore, il dit enfin :

— Mettez ça par terre et allez-vous-en… Je le ramasserai.

Elle dut lui obéir. Il s’avança avec précaution, en la surveillant toujours du regard. Puis, quand il eut ramassé les quarante sous et le pain, il se sauva, au galop de ses pieds nus.

— Sauvage ! cria Chanteau. Il viendra, une de ces nuits, nous étrangler tous… C’est comme cette fille de galérien qui est là, je mettrais ma main au feu que c’est elle qui m’a volé mon foulard, l’autre jour.

Il parlait de la petite Tourmal, dont le grand-père était allé rejoindre le père en prison. Elle seule restait sur le banc, avec la petite Prouane, hébétée d’ivresse. Elle s’était levée, sans paraître entendre cette accusation de vol, et elle avait commencé à geindre.

— Ayez pitié, ma bonne demoiselle… Il n’y a plus que maman et moi à la maison, les gendarmes entrent tous les soirs pour nous battre, mon corps est une plaie, maman est en train de mourir… Oh ! ma bonne demoiselle, faudrait de l’argent, et du bouillon gras, et du bon vin…

Chanteau, exaspéré par ces mensonges, se remuait dans son fauteuil. Mais Pauline aurait donné sa chemise.

— Tais-toi, murmura-t-elle. Tu obtiendrais davantage, si tu parlais moins… Reste là, je vais te faire un panier.

Comme elle revenait avec une vieille bourriche à poisson, où elle avait mis un pain, deux litres de vin, de la viande, elle trouva sur la terrasse une autre de ses clientes, la petite Gonin, qui amenait sa fille, une gamine de vingt mois déjà. La mère, âgée de