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vous me donniez un peu d’eau-de-vie camphrée.

Pauline et Chanteau ne purent s’empêcher de rire.

— Non, je sais où elle passerait, mon eau-de-vie ! Je veux bien te donner un pain, et encore je suis sûre que vous allez le vendre pour en boire l’argent… Reste assise. Cuche te reconduira.

À son tour, le fils Cuche s’était levé. Il avait les pieds nus, il portait pour tout vêtement une vieille culotte et un morceau de chemise déloqueté, qui laissaient voir sa peau, noire de hâle, labourée par les ronces. Maintenant que les hommes ne voulaient plus de sa mère, tombée à une décrépitude affreuse, lui-même battait le pays pour lui amener encore du monde. On le rencontrait courant les routes, sautant les haies avec une agilité de loup, vivant en bête que la faim jette sur toutes les proies. C’était le dernier degré de la misère et de l’abjection, une telle déchéance humaine, que Pauline le regardait avec remords, comme si elle se fût sentie coupable de laisser une créature dans un pareil cloaque. Mais, à chacune de ses tentatives pour l’en tirer, il était toujours prêt à fuir, par haine du travail et de la servitude.

— Puisque te voilà revenu, dit-elle avec douceur, c’est que tu as réfléchi sur mes paroles de samedi dernier. Je veux voir un reste de bons sentiments, dans les visites que tu me rends encore… Tu ne peux mener davantage une si vilaine existence, et moi je ne suis plus assez riche, il m’est impossible de te nourrir à ne rien faire… Es-tu décidé à accepter ce que je t’ai proposé ?

Depuis sa ruine, elle tâchait de suppléer à son manque d’argent, en intéressant à ses pauvres d’au-