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que ce soit avec moi ou avec un autre… Donnez-moi quelque chose, mademoiselle. Nous avons tout perdu. Moi, je m’en sortirais ; mais c’est pour elle qui est malade, oh ! bien vrai, je le jure !

La jeune fille, apitoyée, finit par le renvoyer avec un pain et un pot-au-feu. Elle promit même d’aller voir la malade et de lui porter des remèdes.

— Ah ! oui, des remèdes ! murmura Chanteau. Tâche de lui en faire avaler un ! Ça ne veut que de la viande.

Déjà Pauline s’occupait de la petite Prouane, qui avait toute une joue emportée.

— Comment as-tu pu te faire ça ?

— Je suis tombée contre un arbre, mademoiselle.

— Contre un arbre ?… On dirait plutôt un coup sur l’angle d’un meuble.

Grande fille à présent, les pommettes saillantes, ayant toujours les gros yeux hagards d’une hallucinée, elle faisait de vains efforts pour se tenir poliment debout. Ses jambes s’affaissaient, sa langue épaisse n’arrivait pas à articuler les mots.

— Mais tu as bu, malheureuse ! s’écria Pauline, qui la regardait fixement.

— Oh ! mademoiselle, si l’on peut dire !

— Tu es ivre et tu es tombée chez toi, n’est-ce pas ? Je ne sais ce que vous avez tous dans le corps… Assieds-toi, je vais chercher de l’arnica et du linge.

Elle la pansa, tout en cherchant à lui faire honte. C’était beau, pour une fille de son âge, de se griser ainsi avec son père et sa mère, des ivrognes qu’on trouverait morts un matin, assommés par le calvados ! La petite l’écoutait, semblait s’endormir, les yeux troubles. Quand elle fut pansée, elle bégaya :

— Papa se plaint de douleurs, je le frotterais, si