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redouté tous les matins de ne pas le voir vivre jusqu’au soir. Elle seule recommençait le miracle de le sauver à chaque seconde, car la mère était encore au lit, et la nourrice qu’il avait fallu prendre, donnait son lait simplement, avec la stupidité docile d’une génisse. C’étaient des soins continus, la température surveillée sans cesse, l’existence ménagée heure par heure, une véritable obstination de poule couveuse, pour remplacer le mois de gestation qui lui manquait. Après ce premier mois, il avait heureusement pris la force d’un enfant né à terme, et il s’était peu à peu développé. Mais il restait toujours bien chétif, elle ne le quittait pas une minute, depuis son sevrage surtout, dont il avait souffert.

— Comme ça, dit-elle, il n’aura pas froid… Vois donc, mon oncle, est-il joli, dans ce rouge ! Ça le rend tout rose.

Chanteau, péniblement, tourna la tête, la seule partie de son corps qu’il pût remuer. Il murmurait :

— Si tu l’embrasses, tu vas le réveiller. Laisse-le donc, ce chérubin… As-tu vu ce vapeur, là-bas ? ça vient du Havre. Hein ? file-t-il !

Pauline dut regarder le vapeur, pour lui faire plaisir. C’était un point noir sur l’immensité des eaux. Un mince trait de fumée tachait l’horizon. Elle demeura un moment immobile, en face de cette mer si calme, sous le grand ciel si limpide, heureuse de ce beau jour.

— Avec tout ça, mon ragoût brûle, dit-elle en se dirigeant vers la cuisine.

Mais, comme elle allait rentrer dans la maison, une voix cria, du premier étage :

— Pauline !

C’était Louise qui s’accoudait à la fenêtre de l’an-