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quand il parla, le son brisé de ses paroles laissa voir la lutte qui se livrait en lui.

— Eh bien ! je n’ai encore rien fait, répondit-il. Je ne veux rien faire sans vous consulter.

Et, d’un geste machinal, il passa les doigts sur son front, comme pour en chasser un obstacle, un nœud qu’il ne pouvait défaire.

— Mais ce n’est pas à nous de décider, docteur, dit Pauline. Nous la remettons entre vos mains.

Il hocha la tête. Un souvenir importun ne le quittait pas, il se souvenait des quelques négresses qu’il avait accouchées, aux colonies, une entre autres, une grande fille dont l’enfant se présentait ainsi par l’épaule et qui avait succombé, pendant qu’il la délivrait d’un paquet de chair et d’os. C’étaient, pour les chirurgiens de marine, les seules expériences possibles, des femmes éventrées à l’occasion, quand ils faisaient là-bas un service d’hôpital. Depuis sa retraite à Arromanches, il avait bien pratiqué et acquis l’adresse de l’habitude ; mais le cas si difficile qu’il rencontrait dans cette maison amie venait de le rendre à toute son hésitation d’autrefois. Il tremblait comme un débutant, inquiet aussi de ses vieilles mains, qui n’avaient plus l’énergie de la jeunesse.

— Il faut bien que je vous dise tout, reprit-il. La mère et l’enfant me semblent perdus… Peut-être serait-il temps encore de sauver l’un ou l’autre…

Lazare et Pauline s’étaient levés, glacés du même frisson. Chanteau, réveillé par le bruit des voix, avait ouvert des yeux troubles, et il écoutait avec effarement les choses qu’on disait devant lui.

— Qui dois-je essayer de sauver ? répétait le médecin, aussi tremblant que les pauvres gens auxquels il posait cette question. L’enfant ou la mère ?