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je tomberais. Marchons, marchons encore, je boirai tout à l’heure.

Et elle continua sa promenade, traînant les jambes, se dandinant, pesant plus lourd au bras qui la soutenait. Pendant deux heures, elle marcha sans relâche. Il était neuf heures. Pourquoi cette sage-femme n’arrivait-elle pas ?

Maintenant, elle la souhaitait ardemment, elle disait qu’on voulait donc la voir mourir, pour la laisser si longtemps sans secours. Verchemont était à vingt-cinq minutes, une heure aurait dû suffire. Lazare s’amusait, ou bien un accident était survenu, c’était fini, personne ne reviendrait. Des nausées la secouèrent, elle eut des vomissements.

— Va-t’en, je ne veux pas que tu restes !… Est-ce possible, mon Dieu ! d’en tomber là, d’être ainsi à répugner tout le monde !

Elle gardait, dans l’abominable torture, cette unique préoccupation de sa pudeur et de sa grâce de femme. D’une grande résistance nerveuse, malgré ses membres délicats, elle mettait à ne pas s’abandonner le reste de ses forces, tracassée de n’avoir pu enfiler ses bas, inquiète des coins de nudité qu’elle montrait. Mais une gêne plus grande la saisit, des besoins imaginaires la tourmentaient sans cesse, et elle voulait que sa cousine se tournât, et elle s’enveloppait dans un coin de rideau, pour essayer de les satisfaire. Comme la bonne était montée offrir ses services, elle balbutia d’une voix éperdue, à la première pesanteur qu’elle crut éprouver :

— Oh ! pas devant cette fille… Je t’en prie, emmène-la un instant dans le corridor.

Pauline commençait à perdre la tête. Dix heures sonnèrent, elle ne savait comment expliquer l’ab-