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LES ROUGON-MACQUART.

honteux d’être repris et désespéré de l’accueil rageur qu’on allait faire à son mal. Cependant, comme Véronique passait devant sa porte, vers huit heures, il ne put retenir un cri, qu’un élancement plus profond lui arracha.

— Bon ! nous y sommes, grogna la bonne. Le voilà qui gueule.

Elle était entrée, elle le regardait rouler la tête en geignant, et elle ne trouva que cette consolation :

— Si vous croyez que madame va être contente !

En effet, lorsque madame prévenue vint à son tour, elle laissa tomber les bras, dans un geste de découragement exaspéré.

— Encore ! dit-elle. J’arrive à peine et ça commence !

C’était, en elle, contre la goutte, une rancune de quinze ans. Elle l’exécrait comme l’ennemie, la gueuse qui avait gâté son existence, ruiné son fils, tué ses ambitions. Sans la goutte, est-ce qu’ils se seraient exilés au fond de ce village perdu ? et, malgré son bon cœur, elle restait frémissante et hostile devant les crises de son mari, elle se déclarait elle-même maladroite, incapable de le soigner.

— Mon Dieu ! que je souffre ! bégayait le pauvre homme. L’accès sera plus fort que le dernier, je le sens… Ne reste pas là, puisque ça te contrarie ; mais envoie tout de suite chercher le docteur Cazenove.

Dès lors, la maison fut en l’air. Lazare était parti pour Arromanches, bien que la famille n’eût plus grand espoir dans les médecins. Depuis quinze ans, Chanteau avait essayé de toutes les drogues ; et, à chaque tentative nouvelle, le mal empirait. D’abord faibles et rares, les accès s’étaient multipliés bientôt, en augmentant de violence ; aujourd’hui, les