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promis de revenir, lorsqu’il aurait rendu visite aux Gonin, où le vieil infirme était très malade. Et Chanteau demeura seul, devant la table encombrée de la débandade du couvert. Les verres étaient à moitié pleins, le veau se figeait au fond des assiettes, les fourchettes grasses et les morceaux de pain mordus déjà, traînaient, restaient jetés dans le coup d’inquiétude qui venait de passer sur la nappe. Tout en mettant une bouilloire d’eau au feu, par précaution, la bonne grognait de ne pas savoir s’il fallait desservir ou laisser ainsi tout en l’air. En haut, Pauline avait trouvé Louise debout, appuyée au dossier d’une chaise.

— Je souffre trop assise, aide-moi à marcher.

Depuis le matin, elle se plaignait de pinçures à la peau, comme si des mouches l’avaient fortement piquée. À présent, c’étaient des contractions intérieures, une sensation d’étau qui lui aurait serré le ventre, dans un écrasement de plus en plus étroit. Dès qu’elle s’asseyait ou se couchait, il lui semblait qu’une masse de plomb lui broyait les entrailles ; et elle éprouvait le besoin de piétiner, elle avait pris le bras de sa cousine, qui la promenait du lit à la fenêtre.

— Tu as un peu de fièvre, dit la jeune fille. Si tu voulais boire ?

Louise ne put répondre. Une contraction violente l’avait courbée, et elle se pendait aux épaules de Pauline, dans un tel frisson, que toutes les deux en tremblaient. Il lui échappait des cris, où il y avait à la fois de l’impatience et de la terreur.

— Je meurs de soif, murmura-t-elle, quand elle parla enfin. Ma langue est sèche, et tu vois comme je suis rouge… Mais, non, non ! ne me lâche pas,